Julien : Est-ce que tu peux te présenter succinctement ?

Tamara : Pendant dix ans, j’ai été chargée de figuration et de distribution artistique (des petits rôles) et depuis un an, j’assiste David Bertrand sur le casting des rôles principaux pour des longs métrages et des séries.

Julien : Quel est ton parcours?

Tamara : Au départ, j’ai une maîtrise de médiation culturelle et communication. J’ai travaillé dans la gestion de la culture, d’abord au service culturel de l’Opéra Bastille, puis en tant qu’administratrice d’une compagnie. Après, j’ai pris un virage et j’ai fait du cirque pendant dix ans. J’étais en province à ce moment-là, et j’avais une compagnie de théâtre et cirque. J’avais entendu qu’il y avait des tournages qui recrutaient des figurants, ce qui permettait d’avoir un ou deux cachets de plus à l’occasion. Je suis allée me présenter timidement au pôle cinéma en me disant que je n’étais peut-être pas légitime pour faire de la figuration. (Ca me fait bien rire aujourd’hui… !!) La personne qui m’a reçue m’a interrogée sur mon parcours et comme je connaissais tous les comédiens de la région et que j’avais les compétences organisationnelles, elle m’a proposé de faire du casting. Je n’étais jamais allée sur un plateau de cinéma. J’ai commencé par faire le casting d’un court-métrage, puis un moyen, puis un long… 

Julien : Vous étiez situé où ?

Tamara : Dans le Limousin. La plupart des productions étaient parisiennes et venaient en région pour avoir des décors intéressants ou parce qu’il y avait des partenariats financiers avec la région…

Je travaillais sur Un Village Français qui tournait en Limousin et à Paris. L’équipe figuration parisienne a changé et on s’est fait embarqué à Paris pour prendre la suite. Parallèlement, les autres productions parisiennes avec qui j’avais travaillé en Limousin m’ont rappelée pour me proposer de faire leur casting à Paris. J’ai accepté, et j’ai petit à petit basculé du cirque au cinéma.

Julien : Tu connais David depuis combien de temps ?

Tamara : On s’est rencontré sur « Patients », le premier film de Grand corps malade et Mehdi Idir. Il faisait les rôles et moi, la figuration. On s’est ensuite retrouvé sur « La Vie Scolaire », leur deuxième film. C’est mon dernier film en tant que chargée de figuration et petits rôles. Depuis je l’assiste sur les castings rôles qu’il dirige, en cinéma et séries. Il est généreux et exigeant, c’est un bonheur !

Julien : Est-ce que tu peux me dire à quel moment de la production d’un film, on appelle un directeur de casting ?

Tamara : Le casting rôle, on l’appelle avant même la prépa du film. C’est une discussion entre le producteur, le réalisateur et le directeur de casting pour savoir quelle va être la direction du film, et quelles seront les acteurs qui permettront d’aller chercher les financements. Une fois que le film a obtenu des financements, il y a la deuxième phase de casting où on cherche tous les autres rôles.

Julien : Est-ce que le nom du comédien est important pour obtenir des financements ?

Tamara : Bien sur, c’est rassurant pour le producteur, pour les partenaires privés comme pour le distributeur de savoir que l’acteur fait déplacer les spectateurs dans les salles. Le cinéma est une industrie, il faut pouvoir rentrer dans ses frais. Mais il arrive qu’ils s’en passent. « Patients » par exemple, est un premier film, sur le handicap et sans tête d’affiche. Rien de très sexy sur le papier. Pourtant la production et Gaumont y ont cru, ils se sont lancés, et le film a fait plus d’1,2 million d’entrées. Le plus souvent le nom est important, mais il n’y a pas de règle.

Julien : Est-ce que tu pourrais énumérer les types de rôles qui existent ?

Tamara : Il y a les rôles principaux, les deux, trois têtes d’affiches sur lesquelles va se faire le financement du film ; Après, tu as les rôles secondaires, ce sont des rôles importants qui font partie de l’intrigue du film, de vrais rôles qui vont être constamment en interaction avec des personnages principaux. Selon l’importance du rôle, les acteurs peuvent avoir de 5 à15 jours de tournage sur un film.

Ensuite, il y a les petits rôles, pour lesquels les acteurs ont un ou deux jours de tournage, qui n’ont la plupart du temps pas énormément de texte. Après, il y a les acteurs de complément. Parmi eux, tu as les silhouettes parlantes : dans le cinéma, c’est jusqu’à cinq mots et en télé, c’est deux répliques. On n’a aucune indication sur la longueur de ces répliques. Dans certains cas, il faut discuter avec le directeur de production. Et après, tu as les silhouettes muettes : ce sont des personnages qui sont bien identifiés, souvent même nommés dans le scénario ou qui ont une interaction avec un personnage principal ou une interaction qui fait évoluer l’intrigue mais ils ne parlent pas. Et enfin, il y a les figurants. On les reconnaît peu ou pas, ils font vivre le décor. Sans eux, l’action et le décor ne sont pas crédibles. Ils sont moins identifiables, mais ils sont indispensables.

Julien : En tant qu’assistante, combien de comédiens, en moyenne, tu rencontres ?

Tamara : Ça dépend des rôles…Quand on fait un casting avec des jeunes pour Mortel, une série pour Netflix, on a dû voir 250 jeune pour 3-4 rôles. Pour d’autres rôles, ça peut être une dizaine et s’il y a un vrai coup de cœur, une conviction partagée entre le réalisateur, le directeur de casting, et le producteur, ça s’arrête là. Si on n’est pas convaincu, on continue et on peut en voir 40. Ce n’est pas une science exacte, ça dépend du film, du rôle, du réalisateur, et du budget du film.

Julien : Jusqu’à combien de personnes vous pouvez voir en casting par jour ?

Tamara : David a à cœur de prendre du temps avec chaque acteur. On en voit 10-12 par jour. Les journées sont chargées.

Julien : Les textes sont donnés combien de temps avant ?

Tamara : On essaye de le faire le plus tôt possible mais on est souvent serrés dans nos temps de prépa. En moyenne, c’est une semaine.

Julien : Quels conseils tu donnerais à un comédien pour qu’il puisse bien réussir son casting ?

Tamara : Le conseil que je donne toujours, c’est d’oublier l’enjeu, d’oublier qu’il y a un rôle à la clé, de faire comme si c’était une séance de travail. Je dis toujours aux acteurs : « Souvenez-vous de pourquoi vous faites ce métier ». Il faut être dans le plaisir et pour être vraiment dans le plaisir du jeu, il faut que l’acteur enlève l’enjeu. L’enjeu, c’est ce qui le fait stresser, c’est ce qui lui fait perdre ses moyens. Je leur dis toujours : « Prends plaisir et amuse-toi à être cette personne-là », c’est là que ça devient intéressant. L’acteur ne doit pas essayer d’être bon, il doit être le personnage. Des acteurs qui jouent bien, on en voit plein. Ce qu’on veut voir, c’est un acteur qui va nous toucher. Il faut qu’il soit vraiment dans le moment présent, dans le plaisir du jeu, c’est dans ces moments-là qu’il nous touche…s’il est en mode comédien qui essaie de bien faire, il met une barrière invisible entre nous qui fait qu’on n’a pas accès à lui. C’est de l’ordre du sensible, ici non plus ce n’est pas de la science exacte. S’il autorise ça, c’est là qu’on a accès à de super belles choses. Ce sont les vrais moments de plaisir de casting.

Julien : C’est quoi la difficulté d’un casting ? J’imagine qu’il faut avoir des qualités de physionomiste, dans un emploi du temps chargé tout en ayant des contraintes budgétaires

Tamara : Pour moi, ce dont tu parles, ce sont plus les règles du jeu que des difficultés. En casting, tu as toutes ces contraintes, en effet, de réussir à trouver la personne qui te plaît à toi et au réalisateur pour un rôle précis, qui va servir le film et qui va être disponible à ce moment là. Il faut réussir à trouver cette petite combinaison gagnante, c’est une difficulté si tu veux. Je le vois plus comme un challenge.

Julien : Qu’est-ce que tu regardes en premier dans une bande démo de comédien ?

Tamara : J’aime bien voir différents registres de jeu, et que la bande démo soit efficace. Je préconise une bande démo pas trop longue (3 min max), pas la peine de multiplier les extraits s’il y en a suffisamment pour qu’on voie comment joue l’acteur et qu’il nous donne envie. L’idée de la bande-démo, c’est de donner envie. On évite les moments « clipés », (c’est-à-dire les moments où il y a des photos ou des vidéos en off avec une musique, ça ne sert à rien) et on évite aussi les extraits de théâtre filmé dans une bande démo pour le cinéma et la tv.

Julien : Combien de scènes ?

Tamara : Il n’y a pas de règle. Ça dépend de l’efficacité des scènes, du jeu, ça peut être 4-5, plus ou moins…

Julien : Quels conseils donnerais-tu à un comédien qui démarre et qui n’a pas beaucoup d’images ?

Tamara : Il faut qu’il joue, qu’il soit vu, qu’il multiplie les opportunités de jeu, pour acquérir de l’expérience et pour se faire des images.

Julien : Est-ce qu’il t’est arrivée de choisir un comédien par dépit ?

Tamara : Non. Il m’est arrivé de faire plusieurs propositions et que le réalisateur ne choisisse pas celle que j’aurais choisie. Mais si je n’ai pas de propositions dont je suis satisfaite, je continue.

Julien : Est-ce que ton expérience d’auteure-réalisatrice t’aide dans ton métier ?

Tamara : Ca m’aide à la lecture du scénario. Je me projette dans ce qu’a écrit le scénariste plus facilement qu’à l’époque où je n’avais rien écrit ni réalisé. Et probablement que ça m’aide aussi à mieux comprendre les envies et les choix du réalisateur.

Julien : Est-ce qu’il y a déjà des comédiens qui te viennent en tête quand tu lis le scénario ?

Tamara : Non, jamais. Au départ, je lis et je me laisse porter par l’histoire et par les personnages, par ce qu’ils sont. Si je lis en pensant déjà à des gens, j’ai l’impression que je peux m’embarquer sur des fausses pistes, je veux que ça reste ouvert. C’est après la première lecture que je commence à penser à des gens.

Julien : Quel est le rôle que tu as trouvé dont tu es la plus fière ?

Tamara : Un petit rôle sur « La vie scolaire ». C’est un ado au collège qui vient se plaindre auprès de la CPE parce que son copain lui a volé sa gomme et qu’il s’est fait virer par le prof. La manière dont il le fait, c’est magique. Sur le tournage, juste après le « coupé », il a été applaudi par l’équipe et les acteurs tellement ils nous a tous fait rire. C’est d’ailleurs le 1er extrait qui a été choisi pour la promo du film. Ça a fait son petit buzz.

Julien : Quel est le rôle pour lequel tu as le plus galéré ?

Tamara : C’était sur un casting où j’assistais David Bertrand. On cherchait une ado d’origine maghrébine qui devait paraître 15 ans mais en avoir 16 révolus pour pouvoir tourner. Pour le rôle, elle avait une scène d’amour avec un jeune homme où il fallait qu’elle soit dénudée, et dans une autre scène, elle devait embrasser trois-quatre garçons à la suite. Ce n’était pas évident de trouver une jeune fille suffisamment âgée, mais qui fasse un peu plus jeune, qui joue bien, qui accepte les spécificités de ce rôle, qui ait envie de le défendre, et dont la famille aussi accepte qu’elle le fasse.

Julien : Est-ce que tu as des anecdotes de casting ?

Tamara : Une fois, je devais trouver quelqu’un qui avait les gestes justes pour une scène d’arrestation. Le réalisateur me propose de voir un ami à lui qui n’est pas vraiment comédien mais qui est dans la police, et qui s’entraîne plusieurs fois par semaine. Je le reçois dans les locaux de Pôle emploi spectacle. Je lui demande s’il connaît des techniques, et tout en m’expliquant comment faire, il m’attrape le poignet, me fait une clé de bras, me plaque au sol et sans que j’ai vu venir quoique soit, je me retrouve immobilisée, la joue collée contre le lino. Je me relève et, trop content de partager son savoir-faire, il continue : « Si tu mets la main là et que je t’attrape… » et en deux temps trois mouvements, il me refait une autre prise et je me retrouve à nouveau par terre. J’étais autant sidérée que morte de rire intérieurement. Non parce que normalement, le comédien ne braque pas la fille du casting… ! Et je m’imaginais la tête de la conseillère Pole emploi si elle était entrée à ce moment là… Je me suis relevée et il m’a dit : « Ce qu’on peut faire aussi, c’est… » et là, je lui ai dit : « Non, non, ça va, merci, j’ai compris, pas une troisième… ! ».

Julien : Est-ce que tu peux me citer un film, français ou étranger, dont tu as trouvé que le casting était très très bon ?

Tamara : Je ne parlerai pas des brillants castings de « Grâce à Dieu » et « Les invisibles » car c’est David Bertrand qui les a faits, et même si je ne travaillais pas avec lui à cette époque, on m’accuserait de faire de la propagande ou du prosélytisme… En film étranger, je cite évidemment « Parasite ». Le casting est parfait et le film exceptionnel. Et en film français, je pense à « Tu mérites un amour », d’Hafsia Herzi. Il est à l’affiche en ce moment, il faut aller le voir. Les rôles sont incarnés, les acteurs servent les personnages à merveille.

Julien : Quels conseils donnerais-tu à un comédien qui débute sa carrière ?

Tamara : Je lui conseillerais de tourner dans des courts-métrages d’étudiants pour rencontrer des gens, se faire une expérience et se faire des images notamment pour sa bande-démo. Un acteur que je ne connais pas, c’est par la bande démo qu’il va me donner envie de le faire venir en casting.

Le 25 septembre 2019